L’utilisation de téléphones mobiles peut-elle radicalement simplifier la collecte des données sur l’impact social et réduire les frais? Certaines personnes assurent que c’est le cas. Rebecca Berry, une étudiante de l’Université d’Edinburgh, a testé en mai et juin 2017 l’utilité des enquêtes téléphoniques pour la collecte d’informations sur les clients d’entreprises d’énergie solaire. Cette recherche a été entreprise durant un stage avec Energy 4 Impact à Nairobi.

Les entrevues face-à-face ont souvent été considérées comme la "règle d’or" en matière de mesure de l’impact social, du fait qu’elles offrent la possibilité de collecter des données par l’observation, en plus des réponses verbales. Cependant, collecter des données sur l’impact social en personne est souvent considéré comme coûteux et difficilement applicable d’un point de vu logistique pour les petites entreprises sociales.

L’approche Lean Data d’Acumen a pour but de surmonter les difficultés liées aux entrevues face-à-face en utilisant des technologies peu coûteuses, comme les SMS, un serveur vocal interactif ou des appels téléphoniques. Acumen présente Lean Data comme une approche innovante, efficace et abordable pour réunir des données de performance sociale, ce qui permet aux clients des régions rurales de s’exprimer. Mais dans quelle mesure les outils de Lean Data sont-ils efficaces ?

Défis pratiques et limites

Bien que les enquêtes par téléphone de Lean Data soient moins coûteuses que des entrevues face-à-face, l’étude conduite à Narok, au Kenya, avec l’entreprise Solar Kiosk a révélé que les utilisateurs de la technologie mobile font face à des limitations pratiques inattendues, ayant des conséquences négatives, ce qui est sous-estimé par Acumen.

La dépendance de Lean Data de la technologie téléphonique mobile prédétermine l’éventail du public visé par l'étude. Les individus à la base de la pyramide, qui peuvent très bien ne pas posséder de téléphone portable et sont plus à même d’utiliser des énergies « sales », sont exclus.  Les femmes peuvent en particulier être oubliées. Plusieurs femmes rencontrées lors des entrevues en face-à-face ont indiqué ne pas posséder de téléphone portable, contrairement à leur mari. De plus, l’observation du public interrogé a montré que ce sont principalement les hommes qui utilisent les dispositifs de recharge des téléphones, ce qui confirme les études avançant que l’utilisation des téléphones portables en Afrique n’est pas neutre sur le plan du genre. Au final, la technologie agit comme un obstacle à l’accès aux données de l’impact social, par opposition à une passerelle.

- Acumen

Cette étude a révélé qu’Acumen a minimisé la complexité de la collecte des numéros de téléphone portable. Pour une entreprise nouvellement établie, qui n'a pas de base de données de ses clients, et qui opère sur le marché de l'énergie solaire hors-réseau, la collecte de numéros de téléphone des clients constitue un défi majeur. Acumen recommande d'organiser des campagnes radio ou de distribuer des dépliants pour collecter des numéros de téléphone. Cependant, les petites entreprises sociales peuvent ne pas avoir les finances, les ressources ou le temps nécessaires pour le faire.

- Acumen

Acumen a sous-estimé le fait que ce facteur externe représente une entrave pour que Lean Data constitue une avancée dans le domaine de l’évaluation de l’impact social. Un rapport récent rédigé par Truecaller indique que le Kenya a le plus important nombre d’appels téléphoniques frauduleux au monde. Ce facteur externe a fait diminuer le taux de réponse de l’enquête d'Energy 4 Impact, 22% des clients contactés refusant de répondre à une enquête par téléphone.

Le taux de réponse a également été limité par le nombre de clients vivant dans des zones rurales reculées avec une réception téléphonique faible ou un accès limité à des services de recharge de téléphone. Cela a augmenté le nombre de tentatives d’appels, réduisant ainsi le taux de réponse et donc l’efficacité de Lean Data.

- Acumen

La philosophie d’Acumen du «moins donne plus » et sa volonté d’être plus efficace en utilisant le moins de moyens possibles, limite la capacité de Lean Data à présenter des informations sur l’impact social ancrées dans un environnement et un contexte spécifiques. Cette recherche a révélé que les incompréhensions étaient fréquentes lors des enquêtes téléphoniques, obligeant l'enquêteur à orienter le client et limitant ainsi la validité de la réponse du client. En revanche, les indices visuels lors des entrevues en face-à-face fournissent des données contextuelles qui permettent de déterminer comment les connaissances sont créées et partagées.

Observer les clients dans leur propre environnement aide à comprendre les motifs et les causes de leur comportement. Cela permet également de créer des témoignages de clients qui dépeignent l’impact social de Solar Kiosk. Ces études de cas sont un outil inestimable, non seulement pour illustrer l’impact social de Solar Kiosk aux bailleurs de fonds et aux investisseurs, mais également pour aider l'entreprise à comprendre les caractéristiques sociodémographiques de leur clientèle. Ces données qualitatives approfondies manquaient après les enquêtes par téléphone de par l’absence de rencontre visuelle et de rapports directs entre l’enquêteur et le client.

Conclusions

L’utilisation de la technologie de la téléphonie mobile fait passer Lean Data pour une “révolution”. Cependant, Lean Data est un complément aux méthodologies existantes de mesure de l’impact social. Ce n’est pas une "révolution" qui peut être utilisée exclusivement dans le domaine de l’évaluation de l’impact social. La dépendance de Lean Data à la technologie exclue ceux qui ont le plus besoin de s’exprimer: les clients au bas de l’échelle énergétique, qui utilisent des énergies "sales" telles que le kérosène.

En revanche, les entrevues face-à-face révèlent une importante quantité de données qualitatives qui sont tout simplement irremplaçables pour comprendre l'impact social. Les données recueillies à partir d'entrevues sont considérées comme plus valables, fiables et respectueuses, confirmant que les techniques en personne possèdent une supériorité justifiée dans l'évaluation de l'impact social.